Fiche de Synthèse : La socialisation et l'intégration

 

Le travail, ce sont des activités sociales que la société reconnaît comme tel. Ce sont des activités humaines produisant des bien et des services et étant rémunérées. Dans un sujet, le travail c'est donc les métiers, les emplois, la profession. Comment le travail permet de s'intégrer dans la société ? Quelles sont les limites du travail dans ce processus ?

I. LE TRAVAIL FACTEUR D'INTÉGRATION SOCIALE

Le travail permet, tout d'abord, d'avoir un statut social, une identité sociale. En effet, c'est par le travail rémunéré (et plus particulièrement par le travail salarié) que nous appartenons à la sphère publique, acquérons une existence et une identité sociale. Ainsi, le travail permet d’être reconnu socialement, c'est ce qui nous situe dans la hiérarchie sociale, c'est ce qui définit notre être social. Mais le travail c'est également ce qui justifie notre utilité sociale. Le travail permet de se sentir utile à la société. L'identité sociale est d'ailleurs toujours rapportée au travail. Même les personnes qui n'ont pas de travail sont caractérisées par rapport au travail.

Qu’est-ce qui définit l’identité sociale ?
L’activité professionnelle, la situation familiale, l’habitat, le niveau de diplôme, l’habitat, l’âge, le sexe, etc… Mais l’identité sociale se définit également par rapport à des valeurs que les individus revendiquent eux-même pour se situer socialement, et par les traits identitaires que la société leur attribue.
Le travail nous permet également d'avoir accès à des normes sociales. Le travail, l'emploi, nous permet d'abord d'avoir accès à des normes de consommation (à travers un pouvoir d’achat plus important). Ensuite, le travail nous permet d'accéder aux normes de vie sociale (le temps de travail par exemple). Enfin, exercer un métier, c'est connaître une socialisation secondaire qui va nous transmettre de nouvelles normes (ex: les groupes socioprofessionnels avec une très forte identité qui transmettent des valeurs politiques et parfois même religieuses).
De plus, grâce au travail, les individus accèdent à des réseaux de solidarité et de sociabilité nouveaux. Ces réseaux permettent à l'individu de se sentir appartenir à une communauté.
Les réseaux de solidarité : Le travail permet d'abord d'avoir accès à des organisations, à des associations professionnelles, comme les syndicats (partager avec d'autres des luttes => solidarité) ou encore les comités d’entreprise. Dans certains cas, l'habitat dérive également de l'univers du travail. Ex : casernes de gendarmes, villes minières => même mode de vie, mêmes conditions de vie => renforcement des solidarités, de la cohésion sociale). Enfin, le travail, ce sont toutes ces solidarités concrètes, tous ces menus-services quotidiens entre collègues (ex : co-voiturage). Les réseaux de sociabilité : Le réseau « amis / voisins » est généralement constitué par les relations de travail. De plus, le lieu de travail constitue un vivier de « recrutement » du conjoint.
Enfin, quand on occupe un emploi, on accède à un certain nombre de droits. Ces droits vont accentuer l'appartenance à la société. Le travail permet d’abord d’avoir accès à des droits économiques (pouvoir d’achat, salaire minimum, congés payés). Possédant un emploi, j'accède également à des solidarités institutionnelles (protection sociale : assurance maladie, assurance chômage), à des droits syndicaux (représentation syndicale, comités d’entreprise), à des droits du travail (droit de grève).
L'intégration sociale se mesure à travers la participation à la vie politique. Plus les individus sont insérés socialement, plus la participation à la vie politique est importante (s'inscrire sur les listes électorales...). La participation politique des chômeurs est d'ailleurs faible. De même, c'est l'insertion professionnelle des femmes qui fait qu'aujourd'hui elles occupent des responsabilités politiques.

II. MUTATIONS DU MARCHE DU TRAVAIL ET EXCLUSION SOCIALE

Le travail est le grand intégrateur social du 20ème siècle. Le travail est le grand vecteur de l’intégration sociale des individus. Est-ce que les mutations de l’emploi ont amoindri le rôle d’intégration sociale joué par le travail ?

Quelles sont les mutations de l'emploi ?
1. Salarisation des emplois (90% salariés - 10 % indépendants).
2. Tertiarisation. Glissements sectoriels (destructions d’emplois dans les secteurs primaire et secondaire, création dans le tertiaire). Ce sont bien les emplois qui se sont transformés.
3. Qualification. Les emplois d'aujourd'hui requièrent d'avantage de diplômes.
4. Montée des emplois précaires (CDD, intérim, emplois aidés...).
5. Montée du chômage. Dégradation du marché du travail à partir du milieu des années 70 et jusqu'au milieu des années 90 (« 20 piteuses »).
6. Dégradation des normes d'emploi. L'emploi Fordiste type (CDI, 1 contrat avec 1 employeur) cède la place à des formes d'emploi nouvelles, comme le Télétravail ou les nouvelles formes de rémunérations (les stock-options ou les rémunérations individualisées. Les 2 faits majeurs sont le développement du chômage et des emplois précaires.

Quelles sont les conséquences de ces mutations sur l'intégration ? Est-ce que les mutations de l'emploi ont amoindri le rôle d'intégration sociale joué par le travail ? Est-ce que ces mutations de l'emploi ont amoindri le rôle du travail comme facteur d'intégration sociale ?
Les mutations de l'emploi rendent difficiles l'accès à des réseaux de solidarité, l'accès aux normes des consommation dominantes et l'accès à la protection sociale.
1. Accès à des réseaux de solidarité. Aucun des grands syndicats existants n'arrivent à regrouper les chômeurs. Pourquoi alors les chômeurs ne se regroupent pas, eux-mêmes, sous forme de syndicats ou d'associations ? Parce-qu'il est difficile de se définir une identité sociale positive et que l'on peut revendiquer quand on est au chômage.
2. Accès aux normes de consommation dominantes. Pour les chômeurs, il y a « exclusion » pour le logement (ex: les logements sociaux), « exclusion » pour tout ce qui est accès à la culture, aux loisirs ou à la propriété, « exclusion » par rapport à la santé (création de la CMU pour tenter de remédier à ce problème).
3. Accès à la protection sociale. Lorsqu'on a un emploi précaire, on accède pas toujours à ces droits sociaux. Les chômeurs, eux, n'ont pas accès aux mutuelles, le « 2ème étage » de la protection (pas de couverture sociale).

Les mutations de l'emploi ont également entraîné un affaiblissement des solidarités professionnelles.
1. Parmi les mutations de l'emploi, il y a la tertiarisation des emplois. Quelles conséquences a eu la tertiarisation sur l'intégration sociale ? Les emplois types de l'agriculture ou de l'industrie constituaient des cadres identitaires stéréotypés (mode de vie, caractéristiques sociales communes). Ces emplois permettaient donc aux individus dépourvus d'identité sociale (pas de diplôme, individus issus de l’immigration) d'accéder à une identité sociale forte (traits identitaires forts que l'on peut revendiquer) à travers un processus de socialisation. Est-ce que dans les emplois tertiaires on retrouve la même chose ? Non. Ces emplois requièrent au préalable la constitution d'une identité sociale positive (savoir être, etc...). Mais quels sont les garants de cette identité sociale positive ? Ce sont les diplômes mais aussi la famille et le capital culturel qu'elle transmet. Et sur ce plan, il y a des inégalités. Comment accéder à l'emploi quand on a pas de diplômes ou que la famille ne correspond pas aux normes dominantes ? Au bout du compte, ceux dont l'identité sociale est la plus fragile ou la moins valorisée sont ceux qui auraient le plus besoin d'avoir un emploi pour renforcer cette identité sociale, et c'est ceux qui ont le moins de chance d'y accéder dans le cadre des emplois tertiaires.
2. La salarisation. D'un côté, le salariat permet d'accroître la liberté des individus (plus de tutelle familiale...) mais d'un autre côté, les liens de solidarité très puissants ont tendance à se dissoudre. Les solidarités traditionnelles et les solidarités professionnelles sont remplacées par les solidarités institutionnelles (sécurité sociale), qui rendent les personnes moins solidaires entre elles.
3. La crise du syndicalisme en France (désyndicalisation forte) témoigne que les solidarités professionnelles sont en perte de vitesse (crise de l'identité ouvrière, du Parti Communiste).
Enfin, le lien Emploi / Intégration sociale est beaucoup plus complexe qu'on ne l'imagine. La thèse dominante est que lorsqu'on a un emploi, on bénéficie d'une bonne intégration sociale. Mais être exclu du marché, ce n'est pas systématiquement être exclu socialement. Et inversement, occuper un emploi n'est pas une garantie d'identité sociale. En effet, sur les 8 millions d'actifs socialement vulnérable, il y a 6 millions d'actifs qui occupent un emploi stable (les ¾). De plus, sur les 2,9 millions d'actifs économiquement pauvres, 1,6 million ont un emploi stable (plus de la moitié).

Comment expliquer ces chiffres ?
1. Absence de solidarité familiale.
2. Peu de solidarités en ce qui concerne le réseau « amis/voisins » (société individualiste).
3. Peu de solidarités associatives.
4. Ici se pose le problème de l'intégration de l'immigration, l'immigration étant un facteur d'exclusion sociale (discrimination à l'embauche entre autres). A l'inverse, on peut être au chômage et ne pas tomber dans la pauvreté économique et la vulnérabilité, et donc conserver une bonne intégration sociale. La preuve en est que sur les 3 millions d'actifs économiquement pauvres, on ne retrouve que 0,9 millions de chômeurs.
 Population économiquement pauvre : personnes vivant dans un ménage dont le revenu par personne est inférieur à 2700 francs (411, 61 €) par mois.
 Population socialement vulnérable : Personnes actives dont la sociabilité familiale, les possibilités d’être aidé par leur entourage et les liens avec le monde associatif sont dans l’ensemble faibles. Personnes qui ont un accès limité aux 3 réseaux de solidarité que sont le réseau familial, le réseau « ami/voisin » et le réseau associatif.

III. LES LIENS SOCIAUX ET LES INSTANCES DE SOCIALISATION

Quelques Définitions
Le lien social correspond aux relations culturelles, économiques, et politiques qui relient les individus dans la société. Il permet la cohésion sociale et l’intégration. La cohésion sociale est une interaction entre les individus qui partagent les mêmes idéaux. Les normes correspondent à des règles de conduite qui orientent les comportements des individus en accord avec les valeurs dominantes d’une société. Elles sont intériorisés pendant le processus de socialisation.

L’intégration et le processus de socialisation
- L’intégration correspond à une interdépendance ou a un lien social. La poursuite des intérêt collectifs assure la cohésion du groupe. Les normes sont intériorisées. Le processus de socialisation est le processus par lequel les êtres assimilent les normes et les valeur de la société à laquelle ils appartiennent.

La famille
La famille joue un rôle déterminant au cours de l’enfance pour la socialisation. Les parents ont une influence, selon leur PCS, leur niveau d’étude, leur patrimoine, leur statut. Ils transmettent des normes et des valeurs. La famille demeure l’instance majeure de la socialisation, même si depuis les années 70, les divorces, les familles recomposées ont profondément modifié le lien social

L’école
Il faut distinguer la socialisation primaire (effectuée pendant l’enfance) et la socialisation secondaire, qui ne s’effectue pas dans la famille, et qui continue tout au long de la vie de l’individu. L’école est l’instance de socialisation secondaire, la plus importante. L’école obligatoire permet de transmettre un certain nombre de valeur communes. Mais elle doit faire face à des difficultés telles que la persistance des inégalités.

Le travail
C’est une des instances de régulation qui est actuellement mise en avant. Le principe de la division sociale du travail, mis en évidence par Emile Durkheim, a changé les sociétés. Les individus appartienent a un groupe, à une communauté de travail. L’identité professionnelle a une influence en dehors du monde du travail. La précarisation de l’emploi met à mal le rôle d’instance de socialisation du travail pour les individus les plus exposés à la précarité.
Il existe d’autres instances de régulation :
- les religions
- le syndicalisme
- les associations (sportives ou culturelle)
- les médias

IV. L'OPPOSITION ENTRE SOLIDARITES ORGANIQUE ET MECANIQUE ET FRAGILITÉ DU LIEN SOCIAL

La solidarité mécanique
Avant le XVIIIè siècle, les sociétés étaient très solidaires et très unitaires (exemple du village). Dans ces sociétés simples, la division du travail était faible et la conscience collective forte. Le droit était répressif et tous les individus croyaient aux mêmes valeurs. L'autonomie Individuelle était faiblement développée et le contrat social très fort.
Ce type de société est caractérisé selon Emile Durkheim (1858-1917) par une solidarité mécanique.

La solidarité organique
Les sociétés industrielles sont caractérisées par l'individualisme. Les causes en sont l'urbanisation, l'industrialisation, le progrès technique... Les individus se différencient et deviennent complémentaires, la division du travail y est importante et la conscience collective beaucoup moins forte. Les activités sont rationalisées (Max Weber). Emilie Durkheim parle de société organique, où on trouve une solidarité fondée sur la division du travail. Chaque individu occupe une fonction spécifique qui est indispensable au bon fonctionnement de la société.

L'exclusion
L'exclusion correspond à une rupture des liens sociaux suite à un échec d'intégration. Les individus perdent leurs repères sociaux. Ils sont atomisés et l'individu est marginalisé. L'exclusion se traduit souvent par une instabilité professionnelle, familiale et sociale. Les exclus sont surtout les sans abris, les chômeurs de longue durée et les personnes âgées.

La pauvreté
La pauvreté fait référence à l'inégale répartition des ressources. C'est un phénomène à la fois
- économique, qui touche les populations qui reçoivent un revenu trop faible et qui ne peuvent subvenir à leurs besoins élémentaires,
- social, qui nuit à l'intégration sociale de l'individu,
- psychologique, qui touche la personne dans son sentiment par rapport aux autres.

La déviance
La déviance regroupe un ensemble de comportements qui s'écartent des valeurs et des normes de la société et qui appellent une sanction. La déviance est différente selon les sociétés car elle dépend des normes et des valeurs de celle-ci.

L'anomie
L'anomie correspond à, un dérèglement ou à un relâchement des règles sociales. Elle provoque l'exclusion des individus.

v. LA MONTEE DE L'INDIVIDUALISME

On peut distinguer deux formes d'individualisme

L'individualisme particulariste
Il fait référence à une forme d'égoïsme et considère que les désirs individuels peuvent être satisfaits sans aucune limite.

L'individualisme universaliste
C'est un système dans lequel la liberté individuelle et la responsabilité morale individuelle sont valorisées. Les comportements irrespectueux des règles de la vie commune sont condamnés.

 

Conclusion : L'emploi est devenu un facteur d'intégration majeur. Les transformations récentes de l'emploi ont modifié son rôle d'intégration sociale. Mais à côté de l'emploi et du travail, d'autres instances d'intégration interviennent: État / famille / école. Aujourd'hui se pose donc la question de la place que nous voulons donner au travail. On peut, en effet, réfléchir à d'autres formes de reconnaissance sociale, d'identité sociale, que celles qui sont liées au travail, comme l'engagement humanitaire, politique ou associatif qui renforcent les solidarités entre les individus mais qui sont très peu reconnues. On peut donc réfléchir à une société où les gens sans emploi pourront être intégrés.

 

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Exemples de questionnement relatifs à cette thématique


Questionnement 1 : Dans quelle mesure la cohésion sociale est-elle remise en cause par le chômage et la précarité ?

La « cohésion sociale » se définit par rapport à la notion d’intégration sociale. Elle mesure « l’intensité des liens qui unissent les individus » et elle se traduit généralement pas une absence de conflits. La « cohésion sociale » s’oppose à « l’exclusion sociale », qui est synonyme de dislocation de la société.
I. Le chômage et la précarité rendent difficile voire impossible l’intégration sociale par le travail. Les chômeurs et les travailleurs précaires ont difficilement accès aux normes de consommation, aux réseaux de solidarité et de sociabilité, ainsi qu’aux droits économiques, syndicaux, civiques et aux solidarités institutionnelles. D’autre part, les chômeurs et les travailleurs précaires peuvent se sentir inutiles à la société (notamment les chômeurs de longue durée), et bien souvent, leur identité sociale est dévalorisée (mise à l’écart des travailleurs précaires au sein de l’entreprise, pas de syndicats de chômeurs). Tout ceci remet en cause la cohésion sociale, et cela malgré les efforts de l’État, qui a tenté de palier les conséquences de l’exclusion sociale en créant les minima-sociaux. Mais il ne « suffit pas de percevoir des revenus de substitutions pour exister socialement ».
II. Cependant, le chômage et la précarité ne font pas tout, ils ne remettent pas totalement en cause la cohésion sociale. D’une part parce-que le chômage et la précarité n’affecte pas tout le marché du travail. D’autre part parce-que le travail n’est pas le seul « intégrateur social ». L’État, la famille ou encore l’école peuvent également remettre en cause la cohésion sociale et favoriser l’exclusion sociale.



Questionnement 2 : Dans quelle mesure l’exclusion sociale s’explique-t-elle par l’évolution du marché du travail ?


L’évolution du marché du travail source primordiale d’exclusion sociale.
A. Des constats [il s’agit de montrer que la dégradation du marché du travail s’est accompagnée d’une montée de l’exclusion sociale, celle-ci concernant particulièrement les personnes touchées par les problèmes du chômage de longue durée et par la précarité de l’emploi].
1. Dégradation du marché du travail. Montée du chômage durant les deux dernières décennies [chiffrer à l’aide de connaissances personnelles]. La forte montée des emplois précaires, en lien avec le développement de la flexibilité du travail dans les entreprises. Ainsi, alors que le total stagiaire / intérim / CDD représentait 2,8% de l’emploi salarié en France en 1982, la part de ces emplois dans l’emploi salarié est passé à 8,3% en 1997, elle a donc été multiplié par 3 entre ces deux dates.
2. Or, on constate que les risques d’exclusion sont croissants avec l’emploi instable et le chômage de longue durée. En effet, alors que « seulement » 21,6% des personnes disposant d’un emploi stable non menacé était, en 1987, socialement vulnérable, c’était le cas de 27,5% des personnes ayant un emploi instable, et de 31,8% des chômeurs de plus de 2 ans. De même, si « seulement » 4,2% des personnes disposant d’un emploi stable non menacé était, en 1987, très vulnérables, les proportions étaient respectivement de 11% pour les emplois instables et de 17,5% pour les chômeurs de plus de 2 ans. Ainsi, exclusion sociale et difficultés vis à vis de l’emploi sont très fortement corrélées. Globalement, c’est quasiment la moitié des chômeurs de plus de 2 ans qui, à un degré plus ou moins fort, sont frappés par la vulnérabilité sociale et connaissent donc un risque face à l’exclusion, contre environ ¼ de ceux qui disposent d’un emploi stable. Par ailleurs, selon un rapport de Chasseriaud, les individus en situation de « grande difficulté sociale » sont essentiellement des « chômeurs de longue durée », chômage souvent appelé chômage d’exclusion.
3. Si les faits font ainsi largement apparaître que l’exclusion sociale est étroitement liée à la dégradation du marché du travail – traduite par la montée du chômage et spécifiquement d’un chômage de longue durée, mais aussi par la précarisation des emplois générant une segmentation du marché du travail – l’analyse doit permettre de comprendre les processus en jeu.
B. Les processus [il s’agit de démontrer comment la dégradation de la situation sur le marché du travail peut être source de l’exclusion sociale ? Quels sont les mécanismes en jeu ?].
Dans une société où l’intégration sociale (envers de l’exclusion) passe d’abord par le travail – c’est lui qui procure revenus, statut, identité, relations sociales – on comprend que l’absence prolongée d’emploi (pour les chômeurs de longue voire de très longue durée), mais aussi à un moindre degré, la précarité de celui-ci, soit une première et fondamentale source d’exclusion. Le chômage de longue durée stigmatise et rend le retour à l’emploi plus difficile. Notion d’inemployabilité, de suspicion lors des entretiens d’embauche.
Le chômage de longue durée entraîne une diminution des ressources financières, et ce malgré les revenus de transfert qui ne permettent pas de combler l’absence de revenus du travail. Les chômeurs de longue durée risquent donc de se retrouver en situation de pauvreté économique, avec pour conséquence l’impossibilité de satisfaire des besoins fondamentaux (exemples : accès à un logement décent, accès à la santé et plus particulièrement à certains soins coûteux qui ne sont pas toujours « couverts » par la protection sociale), et dans tous les cas l’impossibilité d’accéder à la norme de consommation (exemple : biens d’équipement). L’isolement des individus au sein de la société (cf notion de sociabilité) est aussi une conséquence importante, notamment du chômage de longue durée : moindres fréquentations, moindres sorties pour des raisons financières, mais aussi en raison du sentiment d’inutilité sociale, de disqualification sociale. Isolement aussi du monde de l’action collective (participation à un syndicats, etc). Le chômage de longue durée a également pour conséquence de faire naître chez ce type de chômeurs un sentiment d’être assisté, dépendant, voire inutile socialement. D’autre part, les chômeurs de longue durée risquent de perdre leurs repères sociaux, et ils risquent également de développer un sentiment de culpabilité et de « honte ». L’image de soi est alors dévalorisée, ce qui accroît les difficultés d’intégration.
Les situations de précarité ne sont, elles non plus, pas exemptes de risques. En effet, les travailleurs précaires ont pour caractéristiques l’instabilité et la faiblesse de leurs ressources, les difficultés à élaborer des projets, à se projeter dans le futur, l’absence d’appartenance à un collectif de travail ou encore le moindre investissement dans l’entreprise et dans l’action collective. D’autre part, cette population est en grande partie composée de salariés peu ou pas qualifiés qui en cas de ralentissement de l’activité économique sont victimes de la sélectivité croissante des employeurs (plans sociaux). Les travailleurs précaires possèdent donc les caractéristiques d’une population « fragile », pour laquelle la frontière avec l’exclusion peut être facilement franchie. L’évolution du marché du travail a donc bien joué un rôle décisif dans le développement de l’exclusion sociale.
Pour autant, il faut bien constater que, d’une part, le chômage et la précarité ne conduisent pas nécessairement à l’exclusion sociale, et que, d’autre part, sans connaître a priori des difficultés d’emploi, certains connaissent malgré tout des risques face au processus d’exclusion. En effet, si les personnes touchées par le chômage sont d’avantage menacées que les autre, elles ne sont pas pour autant toutes, ni même majoritairement socialement vulnérables. Les difficultés par rapport à l’emploi, même si elles sont déterminantes, ne conduisent donc pas nécessairement à l’exclusion, et réciproquement, les personnes ayant un emploi stable non menacé se sont pas automatiquement protégées de tout risque face à l’exclusion. Pour preuve, 25,8% d’entre elles étaient en 1980 vulnérables ou très vulnérables. Il convient alors de démontrer que d’autres facteurs que le marché du travail sont également à l’œuvre dans les processus d’exclusion sociale qui, cumulés aux problèmes face à l’emploi, peuvent faire basculer des individus de la vulnérabilité sociale à l’exclusion.
II. Mais d’autres sphères d’intégration, d’autres facteurs que le marché du travail sont aussi à l’œuvre dans le processus d’exclusion sociale.
Il n’y a pas un « ciment » unique du lien social. Plusieurs pôles d’intégration sont en général à l’œuvre, et l’exclusion se définit en réalité en terme de ruptures par rapport à un ou plusieurs de ces pôles. C’est pourquoi des individus en difficulté majeure face à l’emploi mais bénéficiant de liens sociaux (familiaux, affectifs) forts, source de soutien affectif ou encore financier, bien que fragilisées socialement, ne « basculeront » pas dans l’exclusion. Et inversement, des personnes bénéficiant a priori d’une stabilité de l’emploi peuvent être socialement fragiles. La fragilité sociale peut donc trouver son origine dans d’autres sphères que dans celles de l’emploi, mais déboucher sur une même situation d’exclusion, si d’autres ruptures et/ou « handicaps » viennent se cumuler.


Questionnement 3 : Quelles sphères d’intégration sont aussi à l’œuvre dans le processus d’exclusion sociale ?

1. Malgré sa démocratisation, l’école est un facteur originel d’exclusion, notamment avec le développement du chômage des jeunes. En effet, l’école reste très inégalitaire dans son fonctionnement et elle semble engager sur la voie de l’exclusion ceux qui sont en situation d’échec scolaire. Pour quelles raisons ? – D’une part parce-qu’il devient très difficile aujourd’hui de trouver un emploi lorsque l’on a aucun diplôme. Pour les ouvriers, par exemple, la possession d’un CAP s’impose comme un niveau de diplôme minimal. – D’autre part parce-que l’absence de diplôme, l’âge de sortie de l’école, les redoublements précoces, l’absentéisme marqué ou encore certaines orientations spécifiques risquent de traduire aux yeux des éventuels employeurs des difficultés antérieures de socialisation, et donc des risques futurs. L’absence de diplôme et même l’illettrisme semblent donc annoncer des risques de précarité, des difficultés pour une insertion durable (chômage, stage, chômage, etc). Et l’effet est encore plus marqué pour certaines populations immigrées.
2. La famille. Les grandes évolutions démographiques récentes (hausse des divorces, multiplication des familles recomposées ou monoparentales) apparaissent parfois comme facteur aggravant de la précarité économique. La rupture avec le conjoint accroît en effet les difficultés d’ordre financier, moral ou social : pauvreté accrue, relations sociales limitées, rejet familial (la marginalisation est d’ailleurs plus forte chez les hommes !). Pour les jeunes, la rupture avec la famille entraîne un certain isolement et apparaît comme préalable à l’exclusion lorsque le chômage s’ajoute à la situation. La rupture familiale contribue donc au risque d’exclusion, non seulement du fait de l’appauvrissement des ressources qu’elle engendre, mais plus fondamentalement encore du fait de l’isolement, de la perte de sociabilité, de soutien et de solidarité qu’elle provoque.
3. L’État. Même si de nombreuses mesures ont été prise pour tenter de lutter contre l’exclusion sociale (instauration du RMI, création des minima-sociaux, loi contre les exclusions, création de la CMU…), ces mesures ne parviennent pas forcément à créer un véritable lien social, mais peuvent générer un sentiment d’assistance, de relégation et d’inutilité sociale. D’autre part, les résultats du RMI, qui doit permettre de remettre en jeu socialement les individus, restent très limités.
D’autres pistes peuvent être évoquées. Le quartier de résidence ou encore le nom et le « teint » peuvent également favoriser l’exclusion sociale.